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dimanche 31 juillet 2022

Fougères 1906-1907 - La grève des chaussoniers référendum

Le référendum. Les chaussonniers votent la continuation de la grève.


C'était hier que les ouvriers chaussonniers de Fougères en grève, devaient faire connaître leur décision au sujet des propositions faites par la Chambre de commerce. Nous laissons la parole il notre envoyé spécial

Fougères, 27 novembre 1906. 



Le referendum doit être secret. En raison du nombre des grévistes, cinq bureaux ont été constitués. Une surveillance très sévère est exercée pour assurer la liberté du vote.


Les opérations du scrutin doivent commencer à midi, mais jusqu'à 1 heure le nombre des grévistes qui viennent déposer leur bulletin dans les urnes est encore restreint.


 

2 heures, malgré la pluie qui tombe, fine et serrée, les rues avoisinant les bureaux sont noires de monde et des groupes très nombreux circulent ou stationnent ça et là.


 Les femmes semblent particulièrement très heureuses de venir voter, chose qui, disent-elles ne leur arrive pas tous les jours, de sorte qu'elles profitent de l'occasion pour s'initier.


Tout le monde est très calme, cependant à mesure qu'approche le moment de la fermeture des bureaux, c'est-à-dire 5 heures, les groupes deviennent plus compacts et les conversations plus animées. 


En général, les grévistes n'ont aucune confiance dans le référendum pour hâter la solution du conflit. Ils savent bien que le terrain d'entente proposé par la Chambre de commerce n'est pas tout à fait celui sur lequel se place la Chambre syndicale des fabricants et que, quelque soit le résultat du referendum, il faudra bien en arriver à discuter avec les patrons les conditions qu'ils proposeront dans quelques jours.


On sait, en effet, qu'une délégation de la chambre syndicale est actuellement à Rennes, où elle doit passer quelques jours à examiner les tarifs présentés par la chambre syndicale des cordonniers et à établir les conditions auxquelles les patrons syndiqués voudront rouvrir leurs usines.

Par le premier train, M. Fournier et M. Malier, députés, délégués par le parti socialiste unifié, sont arrivés à Fougères. 








 Ils en sont repartis quelques heures auprès, à 10 h. 40, se dirigeant sur Paris. Ces messieurs ont pensé que leur présence était inutile tout au moins pour le moment et qu'il était préférable de laisser les ouvriers exprimer une bonne fois leurs intentions avant d'intervenir dans le conflit.







A la Bourse du Travail


Dans l'après-midi, nous avons vu M. Jeusse, secrétaire de la Bourse du travail, et lui avons posé les questions suivantes


1° Quel est à votre point de vue la portée du referendum d'aujourd'hui ?

2° Que pensez-vous de la délibération prise par la chambre syndicale des fabricants et publiée ce matin dans L'Ouest-Eclair ?

Voici ce que nous a répondu M. Jeusse

 Le referendum d'aujourd'hui, quel qu'en soit le résultat n'a aucune portée dans le conflit actuel. Ce que nous voulons c'est discuter avec les patrons les tarifs que nous leur avons présentés.

Quant à la seconde question que vous me posez, je dois vous dire que les patrons ont perdu leur temps en allant rechercher les tarifs des autres villes. Nous sommes absolument décidées à maintenir les revendications que nous avons posées.

Le scrutin


Les opérations du scrutin ont été closes dans tous les bureaux à 5 heures, sauf cependant dans celui installé à la justice de paix où se trouvent groupées les fabriques employant le plus nombreux personnel. A un certain moment, la foule était tellement compacte qu'un service d'ordre a dû être établi, mais aucun incident ne s'est produit.

Au moment du dépouillement, plus de 2.000 personnes stationnaient aux portes de la mairie où l'on devait proclamer les résultats.

Quelques jeunes gens ont entonné l'Internationale mais ce chant est resté sans écho. Les grévistes ont voulu demeurer dignes jusqu'au bout.


A 6h. 45 la porte de la mairie s'entrouvre et M. Desrues, maire de Fougères, fait connaître les résultats.





Il y a eu exactement 4.115 votants
1.017 se sont prononcés pour la rentrée aux usines aux conditions proposées par la chambre de commerce et 3.090 contre.

La proclamation de ces chiffres a été accueillie avec satisfaction par les grévistes.

En terminant, M. Desrues s'est exprimé en ces termes

Mesdames, Messieurs,

Je vous invite à rentrer chez vous et à observer une attitude calme et digne comme vous l'avez fait jusqu'ici. » Beaucoup ont répandu oui! oui! soyez tranquille, et tous se sont dispersés immédiatement.

Départ de troupes
Un bataillon du 41e et une batterie du 7e et du 10e d'artillerie sont partis de Rennes se rendant à Fougères à l'occasion de la grève.


Sources 
L'Ouest-Eclair  novembre 1906 Février 1907
BNF Gallica

mercredi 27 juillet 2022

Fougères la grève des chaussonniers 1906-1907 lock-out chaussure ouvriers montage couture

Fougères la grève des chaussonniers 1906-1907

Le musée de l'outil et des métiers de Tinténiac présente un atelier de cordonnier très complet qui permet d'évoquer le travail du cuir. 
L'Ille et Vilaine, important pays d'élevage, produit beaucoup de cuirs utilisés dans l'industrie de la chaussure.
Il est difficile de ne pas parler des grèves (suivies d'un lock-out) de 1906-1907 qui frappent les ouvrières et ouvriers des entreprises fougeraises.


le 11 février 1907 après 103 jours de grève et de lock-out, des accords sont conclus entre les syndicats ouvriers et le syndicat des patrons de la chaussure.
La France découvre la misère des ouvriers et des ouvrières fougerais.

Fougères

L'activité textile périclite dans le pays de Fougères dès avant 1850. On va se lancer dans la fabrication de chaussons de tresse de laine tissés sur une forme par des femmes.


 Progressivement on va adopter le feutre cousu à la main puis à la machine pour arriver enfin à la chaussure de cuir. Bien entendu on utilise les ressources locales que fournissent les tanneries. Fougères se spécialise dans les chaussures féminines.


La croissance est rapide : 9 fabriques en 1861, 35 ou 37 en 1899 qui emploient 11 000 personnes, de tailles très variables de l'entreprise familiale à la manufacture mécanisée.

Des mouvements syndicaux se produisent régulièrement et les deux syndicats de la chaussure (chaussonniers et coupeurs) obtiennent de la municipalité la création d’une bourse du travail en 1900, ce qui doit permettre de développer le syndicalisme dans les autres métiers (en particulier le bâtiment) ainsi que dans les centres voisins (carrières de granit, à Louvigné-du-Désert et dans le bassin du Coglès).

Après quelques accalmies, l’activité syndicale reprend en 1905 sous l’impulsion du syndicat des coupeurs. En 1906, les chaussonniers conduisent à leur tour plusieurs grèves victorieuses aux côtés des coupeurs et leur action apparaît de nouveau irrésistible. À tel point qu’ils présentent en août une nouvelle revendication visant l’unification des tarifs dans toutes les usines de la place. Ils se heurtent à un refus patronal catégorique.



C’est alors que le syndicat patronal décide de lancer une vigoureuse offensive. Il s’agit d’en finir avec le syndicalisme ouvrier, de le briser définitivement, du moins l’espère-t-on ! En octobre, un tarif général est
publié prévoyant l’unification des tarifs que les ouvriers réclamaient.





Mais il a été négocié entre le syndicat patronal et un syndicat ouvrier jaune qui compte à peine quelques dizaines d’adhérents, d’ailleurs pas tous chaussonniers. De surcroît, ce tarif propose dans son ensemble des prix inférieurs à ceux qui étaient pratiqués jusque-là.



L'Ouest-Eclair à partir de début novembre va relater les événements et l'évolution de la grève et du Lock-out.

Le lock-out ou la grève patronale, est la fermeture provisoire d'une entreprise, décidée par l'employeur pour répondre à un conflit collectif .


Fougères, 5 novembre

Par décision de la chambre syndicale des fabricants de chaussures de Fougères, en date de ce jour, vu que les ouvriers travaillant aux machines Boston, malgré les augmentations de salaires consenties, persistent à exiger plus encore et à ne pas reprendre le travail, les signataires informent que dans leurs usines tout travail cessera dans la huitaine, c'est-à-dire le lundi 12 novembre au soir pour tout leur personnel et ne reprendra que lorsque leurs exigences auront cessé.

Suivent tes signatures des patrons

Nous avions pu causer ce matin avec plusieurs ouvriers. En général, l'impression produite par les deux circulaires ci-dessus est mauvaise. Personne ne s'attendait à l'altitude prise du côté patronal. Plusieurs sont décidés cependant a maintenir les revendications et à faire la grève, convaincus que les patrons finiront par céder sur le point en litige comme ils ont cédé sur les autres. D'autres, et c'est le plus grande nombre souhaitent qu'un accord intervienne et qu'un conflit soit évité.



Du côté des patrons, on semble décidé à ne pas céder, l'acceptation des revendications ouvrières pouvant causer, à brève échéance, affirment-ils la chute de plusieurs fabriques incapables de lutter et de soutenir la concurrence dans ces conditions. M. Desrues, maire de Fougères, a, par une lettre adressée à la chambre syndicale des patrons, déclaré qu'il ne répondrait pas des suites des désordres qui pourraient éclater.

Ce matin, les patrons ont fait passer dans les fabriques des feuilles par lesquelles les ouvriers ou employés au mois déclaraient ne plus faire partie du personnel à partir du 6 décembre prochain au cas où le conflit se prolongerait. Presque tous ont signé cette déclaration.


Nous avons vu par ailleurs que tous les ouvriers à la semaine avaient reçu leurs huit Jours!

Un certain nombre de fabriques ont fermé leurs portes aujourd'hui les ouvriers n'ayant pas paru.

Dans les autres fabriques, le travail s'est ralenti, tous les esprits étant préoccupés par l'orage qui menace.

Le Lock-Out

Fougères, 6 novembre 1906

Ainsi que je vous lai annoncé hier soir, vingt-trois fabricants de chaussures ont répondu aux revendications ouvrières par une menace de fermeture de leurs établissements, si les ouvriers persistaient dans leurs exigences. On se rappelle qu'à la suite d'une campagne de la Bourse du travail, dans toutes les fabriques où les représentantes des syndicats s'étaient présentés, une augmentation très sensible avait été accordée presque sans difficultés pour plusieurs catégories d'ouvriers. Mais aujourd'hui les délégués ouvriers se heurtent à un refus d'augmenter les salaires en ce qui concerne les opérateurs des machines Boston. Cela tient, disent les patrons, à ce que nous sommes à la limite des concessions que nous pouvions consentir cette année.

Les patrons ont fait connaître aux ouvriers leur décision par des circulaires qui ont été affichées hier soir dans les fabriques.

En voici le texte

La chambre syndicale des fabricants de chaussures, saisie par la chambre syndicale des ouvriers cordonniers de réclamations concernant les tarifs de montage Boston, a élaboré et présenté le 26 octobre dernier un nouveau tarif en augmentation sensible sur les prix qui avaient toujours été payés, tarifs d'ailleurs acceptés par les équipes de plusieurs maisons.

Cependant un certain nombre d'équipes Boston se sont mises en grève le 31 octobre dernier, trouvant trop bas le même tarif. Nous avons alors porté ce qui suit à la connaissance de M. Jeusse, secrétaire adjoint de la chambre syndicale des ouvriers cordonniers le samedi 3 novembre.


« Nous soutenons et nous pouvons prouver avec chiffres à l'appui que le tarif soumis nous grèvera dans le courant de l'année de sommes importantes et surtout pour la saison en cours ou nos ventes sont faites et sur lesquelles il n'y a plus à revenir. 

Après ces concessions, nous déclarons, quoiqu'il arrive, ne pouvoir faire davantage et puisque les monteurs en grève persistent à ne pas reprendre le travail, nous déclarons nous solidariser avec notre collègue en cause (M. Pitois) et prendre nos dispositions pour la fermeture générale. »

A suivre...


Sources
L'Ouest Eclair


LA GRÈVE DES CHAUSSONNIERS FOUGERAIS DE L'HIVER 1906-1907 Claude Geslin